Deuxième épisode de notre série sur l'intelligence artificielle : Olivier Martinez, consultant spécialisé dans l'IA s'interroge sur les écarts que cette technologie risque de creuser entre les salariés volontaires et ceux réfractaires à l'intégration de celle-ci dans leur quotidien au travail.

 
 

Plus qu’un simple eldorado pour les technophiles, l’intelligence artificielle sature aujourd’hui l’espace médiatique puisqu’elle a désormais fait son entrée dans notre quotidien. À l’instar de ChatGPT, on peut désormais « dialoguer » avec cette technologie. Une interaction qui interroge notamment sur la manière dont l’IA va s’inviter dans notre environnement de travail. 

Selon une étude menée par l’Ifop pour l’organisme de formations en ligne Learnthings et l’agence spécialisée dans la gestion de la donnée, Flashs, deux tiers des salariés français perçoivent au moins un danger à l’utilisation de l’IA dans leur entreprise. Quels sont aujourd’hui les freins à l’adoption cette technologie ?

Le premier frein est d’ordre psychologique. Au niveau individuel, ne nous voilons pas la face, nous sommes tous plus ou moins inquiets face à ce changement technologique. La machine va-t-elle remplacer l’homme ? Certains métiers vont-ils disparaître ? L’IA ne risque-t-elle pas d’accroître les inégalités entre ceux qui en maîtrisent les codes et ceux qui ne les maîtrisent pas ? Ces interrogations sont légitimes puisque, pour beaucoup, c’est encore un monde un peu flou.

Et aussi mal balisé puisque, selon la même étude, une personne sur deux admet avoir utilisé un logiciel d’IA, type ChatGPT, dans le cadre du travail sans en avoir informé la hiérarchie…

Il est actuellement crucial d’éviter que ne se creuse un fossé important entre les technophiles, les salariés volontaires pour se former techniquement et ceux qui sont totalement réfractaires à ce changement. Les schémas sont similaires qu’à l’apparition d’internet dans les années 1980. Beaucoup le percevaient comme un « truc de geeks », quelque chose qui intriguait autant les informaticiens et les ingénieurs, qu’il inquiétait et faisait peur à l’opinion publique. On ne savait même pas si ça allait devenir un réel business ou non. C’était la grande inconnue. Force est de constater qu'internet a aujourd'hui radicalement changé notre manière d’accéder à l’information et à la connaissance. Certains ont utilisé le potentiel de cet outil, d’autres n’ont pas pris le train en marche. De façon similaire, l’IA représente un saut technologique inévitable car elle modifie le rapport à l’information et à la donnée. Pour autant, aussi efficace et bluffante soit-elle, cette technologie demeure un outil qui n’a d’intelligent que le nom. Lorsqu’on saisit que les modèles de langage actuels, dont se sert l’IA générative, sont des modèles mathématiques probabilistes qui ne « comprennent » pas réellement ce qu’on leur demande il est plus facile de dépasser cette peur qui est en réalité une peur de l’inconnu.

Aujourd’hui, de nombreux équipements, des logiciels et des process embarquent et fonctionnent déjà avec l’intelligence artificielle. L’inquiétude ne vient-elle pas plutôt de la rapidité avec laquelle elle s’intègre à notre environnement de travail ?

Le cadrage automatique en visio, les logiciels de comptabilité, la reconnaissance optique des caractères (OCR), le remplissage de champs… plusieurs tâches sont effectivement déjà automatisées. Mais dans sa forme générative, l’IA va permettre d’aller plus loin et de systématiser ce principe d’automatisation. Ce qui peut susciter des inquiétudes pour les métiers qui comportent aujourd’hui de nombreux aspects répétitifs. La formation apporte des éléments de réponse car elle permet au salarié d’acquérir d’autres compétences, d’apprendre à superviser et entretenir l’automatisation par exemple. À l’image du community manager avec la vague internet, de nouvelles activités et de nouveaux métiers vont apparaître. La démocratisation des outils comme les chatbots doit plutôt concentrer notre vigilance sur les problèmes liés à la santé mentale. L’intégration de l’IA va dépasser la sphère professionnelle et effacer un peu plus les -frontières avec la vie personnelle.​​​​