Longtemps considérée comme une affaire strictement personnelle, la quête de sens au travail s’est imposée depuis trois ans comme un enjeu autant social, économique que de santé publique. La vague de démissions enregistrée à la sortie du confinement, la montée en puissance du « quiet quitting » (démission silencieuse) ainsi qu’une série d’alertes sur le moral en berne des salariés ont mis en évidence un décalage croissant entre les aspirations des Français et leurs réalités professionnelles. Et contrairement à certaines idées reçues, les bull shit jobs ne sont plus les seuls concernés. Le phénomène touche aujourd’hui aussi bien les salariés du secteur social que les cadres de la finance. C’est désormais le rapport même au travail qui serait marqué par l’insatisfaction et le désenchantement (voir notre Dossier page 14). Alors que 53 % de la population active se déclare « désengagée », DRH et manageurs sont donc sommés de redonner du sens au travail. Reste toutefois à savoir s’ils cherchent au bon endroit.
Aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, le travail n’a jamais eu de sens en soi. Personne ne travaille pour le travail. Il suffirait de suspendre la rémunération de n’importe quel salarié ne serait-ce qu’une journée pour s’en convaincre. C’est sans doute l’une des plus grandes supercheries du néomanagement : nous faire croire que le travail, l’engagement ou la performance seraient des valeurs en soi et la source de notre émancipation comme de notre épanouissement personnel. Si le travail peut effectivement prendre un sens, c’est toujours par une cause qui lui reste extérieure qu’il s’agisse d’accéder aux moyens de notre subsistance, de goûter au plaisir de la consommation, mais aussi plus fondamentalement de garantir son intégration dans le corps social.
Cela serait également une erreur de penser que le sens dans la vie professionnelle comme dans la vie tout court puisse se décréter voire simplement se donner. Le sens est toujours le fruit d’une production individuelle et collective qui n’existe jamais une fois pour toutes. C’est pourquoi l’utilité sociale d’un métier n’a jamais protégé ceux qui l’exercent de la démotivation. En témoigne le mal-être persistant du corps enseignant et des personnels de santé. Autrement dit, il ne suffira pas d’afficher les valeurs de l’entreprise sur les murs des open spaces ou de brandir ses engagements RSE pour remobiliser les troupes. Au lieu de prétendre réenchanter le travail par le haut, les entreprises comme les administrations auraient plutôt intérêt à éliminer tout ce qui fait justement obstacle au quotidien à la construction du sens. La liste est longue : l’instabilité organisationnelle, le management par les chiffres, la mise en concurrence des collaborateurs, la survalorisation des individualités… Sans oublier toutes ces procédures hors-sol qui nient la connaissance et l’expérience que les salariés ont de leur propre travail.