Dans le monde du travail, on le sait, certains mythes ont la peau dure… Parmi eux, celui du bureau sans papier a nourri durant plus cinquante ans l’imaginaire de l’entreprise du futur. Une histoire qui démarre dans les années 1970 avec les prémisses du « micro-ordinateur » qui portent déjà avec elles la promesse de libérer les salariés de la paperasse.

Au cours des décennies suivantes, le thème du paperless office devient une rengaine de la littérature managériale. Aux structures bureaucratiques et verticales, les théoriciens de la gestion opposent alors le modèle de l’organisation en réseau, flexible et transparente. Leur crédo : l’entreprise performante du 21e siècle sera forcément « virtuelle ».

Quarante ans plus tard, on sait ce qu’il est advenu de ces prophéties. Ni l’adoption massive du courrier électronique, ni le cloud, ni même la GED n’ont fait disparaître le papier. On imprime moins, c’est une certitude (lire notamment notre dossier page 16). Pour autant, la baisse des volumes n’a eu qu’un effet limité sur notre dépendance au papier. Plus de 70 % des organisations interrogées dans le rapport 2024 du cabinet Quocirca affirment ainsi que l’impression joue toujours un rôle essentiel dans leurs processus opérationnels. On est donc encore très loin du « zéro papier ». Et en vérité, plus personne ne croit encore sérieusement en cette perspective. Reste que la fin de ce mythe pousse aussi à s’interroger sur la réalité d’un autre récit. Plus que la mort de la ramette de papier, la dématérialisation promettait une profonde révolution du monde du travail avec à la clé le retour à des gains importants de productivité. Or, là aussi, le compte n’y est pas. Dans les pays de l’OCDE, le taux de croissance de la productivité du travail enregistre une baisse constante depuis 15 ans. Et pour l’heure, il n’existe toujours aucune preuve des conséquences positives de la digitalisation sur la productivité globale.

Au tournant des années 2000, une vaste enquête réalisée par deux scientifiques britanniques Abigail Sellen et Richard Harper, avait mis en évidence un phénomène passé à la postérité sous le terme de « paradoxe du papier ». Dans leurs travaux, les deux chercheurs expliquent notamment comment la généralisation de l’informatique dans les années 1990, plutôt que de réduire l’usage du papier, a entraîné à l’inverse une augmentation spectaculaire de sa consommation. Pour faire simple : plus les entreprises s’informatisaient, plus les salariés imprimaient. Dans l’Hexagone, il faudra en effet attendre la fin des années 2000 pour voir la consommation de papier graphique décliner durablement. La question est désormais combien de temps devrons nous encore patienter pour voir enfin les promesses d’efficacité du numérique devenir une réalité ?

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