Les salariés français vont mal. Et ce ne sont pas les syndicats qui le disent. Dépression, anxiété, stress, épuisement professionnel… : le dernier baromètre Malakoff Humanis dresse un tableau particulièrement sombre de l’état de la santé mentale dans le monde du travail. En 2022, la situation a même pris une ampleur inédite. Pour la première fois, les Français ont été plus souvent absents de leur entreprise pour raisons psychiques que pour des troubles musculosquelettiques, des traumatismes ou des accidents. Il y a six ans, un arrêt sur dix avait comme motif une pathologie mentale. C’est désormais un sur cinq ! Ce qui en fait la deuxième cause d’absence derrière les maladies ordinaires. La progression est encore plus spectaculaire dans le cas des arrêts longs : 28 % d’entre eux sont aujourd’hui liés à des troubles psychiques contre 14 % en 2016.
Les chiffres sont éloquents. Et ne laissent guère de doutes sur la réalité du phénomène. Les raisons du malaise sont en revanche loin de faire consensus. On connaît déjà les contours de la controverse. Pour les dirigeants, les causes de cette dégradation seraient d’abord liées au contexte sanitaire, à la peur de l’avenir, mais aussi au poids des fragilités sociales et familiales. Du côté des salariés, on pointe du doigt la pression des résultats, les pratiques managériales, le manque d’autonomie et de reconnaissance. Le débat n’est évidemment pas sans intérêt. Mais poser ainsi, il passe à côté de la réalité du monde du travail tant la confusion est désormais grande entre vie privée et vie professionnelle.
Le néomanagement a largement joué ces vingt dernières années sur l’effacement des frontières, mais aussi des filtres qui subsistaient encore entre la personne et le professionnel. En valorisant le savoir-être, la personnalité et les qualités proprement humaines, les entreprises ont réussi à renouveler les modes d’engagement des salariés. Mais elles ont ainsi ouvert la voie à une psychologisation excessive des rapports au travail. Avec le risque, à l’arrivée, de générer une grande confusion des affects, des aspirations et des angoisses. L’expression de soi peut être un ressort particulièrement mobilisateur. Mais c’est aussi un jeu dangereux, source de désengagement voire d’effondrement quand des failles apparaissent. Les chiffres publiés le groupe mutualiste doivent résonner comme une alerte. Au lieu de s’évertuer à imaginer des bureaux comme à la maison, les entreprises auraient d’abord intérêt à repenser le rôle social du travail. Vouloir mettre l’humain au cœur des organisations est certes un slogan vendeur, mais ce n’est sans doute pas le meilleur moyen de protéger l’individu.
Consultez le dernier numéro d'Info Buro Mag en cliquant ici